Si dans certaines régions on ne voit dans les villages que des murs car les jardins sont cachés à la vue des passants, chez nous les propriétaires qui avaient la chance de disposer d'un jardin le laissaient ouvert. On le protégeait certes des animaux errants par une murette, qu'on prenait soin de rehausser par une légère grille pour que la vue ne soit pas arrêtée. Ainsi, de la rue on pouvait voir le jardin, et du jardin la rue. La clôture du jardin n'empêchait pas la communication, et l'on pouvait se parler. Le jardin lui-même fournissant un innocent sujet de conversation.
Cette époque est révolue. Les maisons neuves s'entourent de parpaings jusqu'à deux mètres de haut, et ceux qui n'ont pas les moyens d'un tel rempart se cachent derrière une palissade de bois ou de plastique, ou encore d'une forêt de laurière pour les plus écolos.
Ce sont peut-être des étrangers, me dira-t-on, des gens qui viennent de ces pays où l'on ne voisine pas. Peut-être. Mais je crains que cette mode ne soit le signe de l'individualisme qui ronge notre société : chacun chez soi, chacun pour soi. Les autres n'existent pas, sinon comme des gêneurs dont il faut se protéger.
On ne peut emporter avec soi la clôture de son jardin, mais on a inventé quelque chose de portatif et qui permet de s'isoler quand on est contraint de partager avec d'autres un espace commun. Certains gardent les yeux fixés sur un petit objet qu'ils tiennent dans la main et caressent du pouce, d'autres regardent dans le vague, des fils pendant de leurs oreilles.
Des études sérieuses indiquent que beaucoup de nos contemporains souffrent de solitude. Ont-ils barricadé leur jardin, se promènent-ils avec les oreilles bouchées ou en contemplant leur portable ? Si oui, pourquoi se plaignent-ils ? Si non, un sourire ou une parole de notre part pourrait soulager leur isolement. J.J. Fauconnet